L’une des structures opérationnelles dans le cadre du développement agricole du Togo est l’Agence de développement des agropoles du Togo (APRODAT). Dans une interview accordée à nous avec le Journal Agricole, le Directeur général de l’Agence, Dr Ari AKOUVI nous fait le tour d’horizon du projet de mise en œuvre des agropoles du Togo. Il a évoqué entre autres, les différentes activités déjà réalisées dans la mise en œuvre des Agropoles, de même que les missions de sensibilisation, les aspects fonciers, et les implications du secteur privé. Nous vous proposons l’intégralité de l’interview.
Monsieur le Directeur Général, depuis le 12 Novembre dernier, le Président de la République a porté sa confiance en vous pour la gestion de l’Agence de Promotion et de Développement des Agropoles au Togo (APRODAT). Comment comptez-vous relever le défi pour des résultats probants à court et moyen terme ?
Permettez-moi tout d’abord, à travers vous, de témoigner ma profonde reconnaissance au Chef de l’Etat, S.E.M. Faure Essozimna GNASSINGBE, qui dans sa noble et novatrice vision pour notre pays, a souhaité un changement de paradigme dans notre modèle de développement. L’APRODAT qui n’est que l’une des manifestations de cette vision participe d’un programme d’ensemble qui est porté à travers l’axe 2 de notre PND, avec d’autres initiatives phares.
Comme vous l’avez dit, le Chef de l’Etat, nous a fait l’insigne honneur de participer à la mise en œuvre de cette vision en coordonnant les activités de l’APRODAT. A cet effet, un plan d’action a été mis en place sous ses Hautes Orientations et avec l’appui de la BAD, de la BOAD et de la Fondation sud-coréenne SAEMAUL pour délivrer rapidement, avant la fin de l’année prochaine, de résultats dans des domaines aussi variés et importants que :
- la mise en place et l’équipement des quatre (04) centres de transformation agricole (CTA) dans les cantons de Broukou, Natchibore, Sanda Kagabanda et Adello suivant l’approche de la Fondation sud-coréenne SAEMAUL,
- la facilitation d’acquisition des pièces d’état-civil à 4500 bénéficiaires sur les 19 cantons,
- le lancement des pépinières d’agripreneurs pour une première vague de 50 pisciculteurs et 50 aviculteurs,
- la construction des forages équipés de pompes mixtes dans 20 localités sur les quatre préfectures au profit des populations de la zone du projet,
- la Construction des mini-AEP dans quatre localités dans l’environnement immédiat de l’agroparc,
- le renforcement du réseau de télécommunication et connexion de l’agroparc à la fibre optique à partir du backbone par Sarakawa et Kantè,
- le renforcement du réseau électrique dans l’agropole par l’amenée d’une ligne MT et la distribution de BT dans six (06) localités etl’appui des communautés à la fabrication des foyers améliorés pour endiguer la déforestation et lutter contre le réchauffement climatique.
Monsieur le Directeur Général, votre prédécesseur vous a passé le témoin il y a juste quelques jours. Pouvez-vous nous dire ce qui a été concrètement déjà réalisé dans la mise en œuvre des Agropoles ?
Notre PCA, M. Batana qui a eu à assurer à titre intérimaire la direction de l’Agence a présidé au démarrage de l’institution. Ainsi, il a activement participé à la préparation et aux négociations ayant abouti au financement du projet de transformation agro-alimentaire du Togo (PTA-Togo), projet pilote de l’agropole de Kara.
Il a eu aussi à mettre en place le personnel clé de l’Agence ainsi qu’à coordonner les activités de mise en vigueur des accords de prêt dans des délais raisonnables. Il faut mettre également à son crédit la mise en place du premier plan de travail et budget annuel (le PTBA) et plan de passation des marchés (le PPM) dès le mois de Février 2019, ce qui en soit est un exploit, quand on sait que des projets de moindre envergure font parfois toute une année sans PTBA et PPM approuvés. Il faut aussi noter l’initiative de démarrer l’identification et la délimitation des zones où doivent se réaliser les blocs de production, qui ont permis de retenir 65 sites potentiels dont 15 ont été délimités pour un total de 5300 ha de même que l’identification des sites devant recevoir les infrastructures des centres de transformation agricole, les CTA. Bien évidemment, les activités ont également concerné la structuration des producteurs par laquelle, avec l’ICAT et le MIFA, un embryon d’organisation régionale a vu le jour sur la filière sésame, filière symbole dont le Chef de l’Etat lui-même a remis des semences aux producteurs de la zone.
Je crois que pour tout cela, il faut saluer le parcours de combattant qui a été franchi avec le soutien des plus Hautes Autorités et, bien sûr, l’appui de tous les membres du Conseil d’administration, de l’équipe qui a coordonné le fonds de préparation du projet ainsi que du personnel de l’Agence dès leur recrutement. Nous tenons vivement à les féliciter.
Plusieurs missions de sensibilisation ont été effectuées dans la région de la Kara qui constitue la « zone pilote » des agropoles. Est-ce que les populations à la base comprennent vraiment le bien fondé de cet vaste et ambitieux projet qui s’inscrit dans l’axe 2 du Plan National de Développement ?
Bien ! Est-ce que nous même, cadres, en milieu urbain, nous pouvons, affirmer la main sur le cœur, que nous comprenons tous les concepts développés dans cette approche novatrice ?
Je crois que nous devons rester dans une approche pédagogique et chaque fois, expliquer et nous attacher à rendre de plus en plus concrets tous ces concepts. Le plus important, c’est de savoir que le Chef de l’Etat a une vision très claire et très concrète, qui a été saluée par la communauté internationale et particulièrement nos partenaires en développement et qui suscite un engouement de beaucoup d’acteurs du secteur privé. Tout ceci s’intègre dans un plan plus vaste et, lorsque vous parlez du PND, il faut noter que les trois axes se soutiennent. Il faut voir aussi toutes les réformes sur le secteur public qui ont été faites. Il faut voir enfin le dialogue permanent avec le secteur privé. Ceci a comme fruit l’amélioration du climat des affaires qui s’est récemment illustré par l’important gain que notre pays a eu dans le classement « Doing Business » de la Banque Mondiale.
Le projet agropole est une manifestation de la vision du Chef de l’Etat. Il nous revient de traduire clairement cette vision au plus près du terrain et des communautés. Nous y sommes totalement et franchement engagés avec l’appui des Plus Hautes Autorités et de nos ministères de tutelle.
Comment gérez-vous l’aspect foncier pour une exploitation efficiente des terres dans le cadre de ce projet ?
La zone de concentration de l’agropole de Kara qui a fait l’objet d’études représente 165 000 ha desquelles nous pouvons dégager une masse de 130 000 hectares de zones productives. De cet ensemble, nous avons prévu deux modes de mobilisation du foncier.
Premièrement, nos parents, producteurs de la zone qui exploitent 100 000ha vont être appuyés pour intégrer des schémas d’agrégation. Il s’agit là d’éviter une éviction de ces producteurs par des acteurs plus puissants. Concrètement, il s’agit d’aider nos parents producteurs de la zone à continuer à exploiter leurs parcelles mais dans un nouveau schéma lié aux agropoles. Ils auront l’appui du MIFA SA et l’accompagnement de la Fondation Sud-Coréenne Saemaul pour leur structuration et organisation, ce qui les rendra opérationnels pour rentrer dans des accords d’achat à terme et d’être au même niveau que les agro-industriels.
Deuxièmement, nous allons mobiliser 30 000 ha à travers des baux emphytéotiques entre les communautés de propriétaires fonciers et les opérateurs privés. En effet, conformément au nouveau code foncier et domanial, le gouvernement a opté pour promouvoir d’une part le développement au niveau de nos collectivités rurales d’importants domaines fonciers et d’autre part la sécurisation de l’accès au foncier pour les investisseurs privés. Ainsi, il sera délimité d’importants blocs pour lesquels il sera établi une identification des propriétaires, une évaluation du niveau de fertilité et les différentes cultures susceptibles d’y être réalisées. Ces blocs feront donc l’objet de baux emphytéotiques de 49 ou de 99 ans renouvelables dont la transaction se fera entre les collectivités propriétaires regroupées en groupement d’intérêt économique (GIE) d’un côté et les investisseurs privés de l’autre avec l’intermédiation de l’Etat à travers le guichet unique pour le foncier.
Comment se fait l’implication des producteurs ou des organisations paysannes dans la mise en œuvre des Pôles de Transformation Agricole ?
Les producteurs sont appelés à se structurer en puissantes organisations professionnelles depuis le niveau canton jusqu’au niveau régional. C’est une tâche que nous avons déjà démarrée avec l’appui du MIFA S.A. mais aussi des structures publiques du ministère de l’agriculture, notamment l’ICAT, la direction des filières végétales, etc. Ces organisations auront à gérer les
infrastructures des centres de transformation agricole qui sont autant de micro-écosystèmes où seront rendus disponibles les intrants, l’appui technique, les équipements mais aussi des espaces de vie et de loisirs pour l’épanouissement de nos frères et sœurs agriculteurs dans ces zones.
Ils seront accompagnés par la Fondation sud-coréenne Saemaul pour développer leurs compétences en négociation et en gouvernance locale ce qui leur permettra de rentrer dans les schémas de contractualisation à terme avec les groupes privés qui seront dans la transformation. Il s’agit ici de connecter une demande solvable aux capacités de production pour rendre efficaces les investissements et viables les chaînes de valeur. Ainsi, l’industriel et le producteur évolueront dans un partenariat gagnant-gagnant.
Quelles seront concrètement les infrastructures de développement dont bénéficieront les populations de la région ?
Un ensemble d’infrastructures est prévue pour la zone. Ainsi, le cœur de l’agropole est ce que nous appelons l’agroparc ou parc industriel. Il s’agit d’un site aménagé et viabilisé pour permettre l’activité industrielle et de service, abritant des espaces pour des usines, des laboratoires et services connexes, des bureaux, des centres d’hébergement, de loisirs et socio-collectifs. Cet agroparc qui sera construit à Broukou dans la préfecture de Doufelgou va bénéficier à toute la région à travers les opportunités qu’elle va créer aussi bien en termes d’emplois nouveaux et d’activités qui vont se créer sur tous les chaînes de valeur, de facilités d’accès aux services financiers et non financiers ainsi que d’infrastructures qui seront disponibilisées.
Mais au-delà, nous avons onze (11) centres de transformation agricole (CTA) où seront mis en place des infrastructures de formation, d’hébergement, des centres de loisirs, des bornes dee- vulgarisation, et, bien évidemment, des infrastructures de groupage et de stockage des produits agricoles ainsi que des magasins de fourniture d’intrants. Sur ces onze CTA, quatre seront pilotés par nos partenaires de la Fondation Saemaul pour tester l’approche coréenne de développement rural et communautaire, approche qui fera ensuite tâche d’huile sur toute la région. Au-delà de cela, nous savons tous qu’il est prévu des pistes rurales, des réseaux de forage et de mini-AEP, le branchement de la fibre optique et du réseau électrique à l’agroparc.
En termes d’emplois, qu’est-ce que l’Agropole de Kara réserve aux jeunes de la région ?
Les études préparatoires du projet ont permis d’estimer à 25 000 le nombre d’emplois directs qui seront créés ou consolidés au niveau de la production agricole et environ 500 emplois industriels et de service (conduite et surveillance de machinerie, gestion des équipements techniques, administration des unités agro-industrielles).Mais au-delà de ces emplois directement créés par les chaînes de valeur cibles, il y’a tout le gisement d’emplois dans les secteurs connexes tels que les services techniques et de maintenance (informatique, électronique, électricité, etc.), l’habitat (maçonnerie, menuiserie et bois, plomberie et sanitaire, jardinage et aménagement des espaces verts, aménagement et entretien des locaux, etc.), les services de laboratoire (biologie, chimie, biochimie, etc.), les services sociaux ou de loisirs (écoles, centres de santé, hôtellerie, restauration, tourisme et sport) ; les chaînes de transport et logistique ; les services financiers, bancaires et assuranciels ; la publicité et le marketing, etc… Ceci sans parler des effets induits que la disponibilité de ses services crée par leur présence, ce qui fera un effet multiplicateur au-delà de la zone de l’agropole.
Quel est aujourd’hui le degré d’implication du secteur privé ?
Au niveau de l’engagement des acteurs du secteur privé, les ambitions que notre pays a affiché à travers l’axe 2 du PND a suscité un grand intérêt tant auprès des investisseurs internationaux que nationaux et même au niveau des petites entreprises individuelles. Un certain nombre ont adressé une manifestation d’intérêt et, pour certains même, ont visité le site de l’agroparc et quelques sites identifiés pour les blocs de production.
Ainsi, il m’a été rendu compte que sept (07) opérateurs institutionnels et cinq (05) individuels ont souscrit pour les blocs en vue de la production en régie pour un besoin total estimé à 7300ha. Trois (03) se sont positionnés pour la transformation des produits agricoles. Une structure internationale a également signé un mémorandum d’entente en vue du financement pour acquisition de matériels agricole. Nous allons travailler pour la montée en puissance dans cette implication du secteur privé à travers un forum de promotion de l’investissement que nous comptons organiser au premier trimestre de l’année 2020.
Monsieur le Directeur Général, à l’horizon 2022, est-ce que d’autres Pôles de Transformation Agricole pourront emboiter le pas à celui de la Kara ?
Sur la base de l’engouement suscité, les hautes orientations que nous avons reçues sont très claires. Nous devons accompagner les acteurs privés partout où ils sont intéressés. Aussi, même si la priorité programmatique reste l’agropole pilote de Kara ainsi que les agropoles de l’Oti et du Haut-Mono, nous allons mettre en place des points de contacts pour chacun des dix agropoles qui permettront de fournir une base détaillée d’informations aux promoteurs privés et qui pourront les guider et appuyer dans leur démarche d’investissement.
Votre mot de fin, Monsieur le Directeur Général
Je remercie votre journal pour l’opportunité qui m’est offerte et je vous félicite pour le travail que vous faites au profit du monde agricole et rural. Les agropoles sont une chance pour notre pays, et comme vous le savez, la chance n’est heureuse que quand on la saisit. A nous tous de la saisir !
Propos recueillis par Gilles PODJOLEY / La Rédaction