Depuis un certain temps, un journaliste connu au sein de sa corporation a « disparu » du monde des médias togolais et n’est plus présent sur les sites de reportage ou sur son lieu de travail. Une enquête menée par notre rédaction nous informe qu’il a quitté le Togo pour une destination inconnue. La déclaration audacieuse sur sa page facebook révèle un indice sur sa disparition : « Je suis homosexuel et fier de l’être ».
Au Togo, la pratique de l’homosexualité grandit et gagne du terrain dans la société. Une pratique longtemps classée comme tabou parce qu’elle n’est pas reconnue en général en Afrique ni spécifiquement dans les coutumes togolaises. Etre homosexuel au Togo envoie tout pratiquant vers la stigmatisation, la discrimination sur tous les fronts et la probabilité d’être victime de harcèlement quotidien ou de violence par les voisins et leurs proches.
Pratiquer l’homosexualité au Togo et exercer son droit de choisir cette affiliation sexuelle et d’en profiter ne sont pas facile. Le constat a révélé que les couples homosexuels sont contraints de se cacher de peur de tomber sous le coup de la loi togolaise qui n’autorise pas les pratiques liées à l’homosexualité.
L’article 88 du Code pénal togolais punit la pratique de l’homosexualité d’une peine d’emprisonnement d’un à trois ans et d’une amende de 100 000 à 500 000 francs CFA.
Tout est parti d’une publication du confrère journaliste postée sur sa page facebook il y a quelques jours. « Je suis homosexuel et fier de l’être » avec sa photo derrière le drapeau multicolore de la communauté gay. Une photo et un message qui expriment aisément son choix sexuel. Photographe et cameraman de profession, le confrère ALAGNON Yawo Fofo, (photo) officiait sur une station de télévision locale. Il explique son choix sur son homosexualité par « le grand besoin de compléter ce qui manquait dans sa vie émotionnelle et sentimentale ».
C’était en 2012 lors d’un séminaire organisé à Kpalimé (ville située à 120 km au nord ouest de Lomé) et auquel il participait qu’il a découvert son homosexualité et surtout son attirance pour les hommes. Lors de ce séminaire, il fait la rencontre de Denis, un client de l’hôtel, avec qui il s’est lié d’amitié. De retour à Lomé quelque chose a changé en lui et les choses sont allées très vite pour lui.
« Il s’appelle Denis, ghanéen de nationalité. Il était beau et mince et tout de suite quand mes yeux ont rencontré le sien dans le restaurant de l’hôtel, j’ai senti mon cœur battre fort. Je n’ai jamais compris ce qui s’est passé ce jour-là. Habituellement, je ne suis pas excité, mais cette fois c’est pour un homme que mon cœur battait ce jour-là au restaurant de l’hôtel », a confié le caméraman Alagnon Yawo Fofo.
Leur premier rendez-vous amoureux a eu lieu à son retour à Lomé à la suite de quelques appels téléphoniques échangés entre eux et au cours desquels son nouvel amoureux lui propose de le rejoindre dans la capitale togolaise. Cette rencontre a été le point de départ d’une nouvelle vie sexuelle qu’il a découverte.
« Nous avions passé la soirée dans un club privé qui appartenait à un de ses amis. Il y avait d’autres hommes là-bas aussi. Tout s’est passé rapidement pour moi et j’ai découvert de nouvelles sensations. Le fait d’être embrassé par un homme et d’avoir des relations sexuelles avec lui était inexplicable pour moi. Je renais et j’étais ravi », dit-il.
Au départ de Denis pour le Ghana, le journaliste s’est rendu compte de beaucoup de transformations intervenues en lui. Il n’a plus d’yeux que pour Denis, son amoureux gay. Un amour qui l’a poussé à se « mettre en couple » avec Denis. Pour vivre leur grand amour, ils ont choisi Kpalime comme ville de résidence.
Deux années plus tard à son retour à Lomé, les choses se compliquent pour le confrère. Pour avoir préféré la compagnie des hommes, il s’est en effet retrouvé dans un tourbillon fait d’attaques, de menaces et d’intimidations de la part de ses proches voisins de quartier. Pour préserver sa vie, il a longtemps caché son homosexualité à son entourage pour éviter d’être pris pour cible par le quartier. Mais très vite, les premiers soupçons ont commencé à se nourrir autour de lui et son homosexualité est découverte par son entourage du fait de ses fréquentations masculines à Lomé.
« C’est un voisin qui me devait de l’argent qui a dévoilé mon homosexualité dans le quartier. Je lui avais prêté de l’argent et au moment où il devait me rembourser, il ne l’a pas fait. Au décès de mon frère, j’avais besoin d’argent pour faire face aux frais des obsèques de mon frère décédé. La date limite qu’il m’avait donnée pour me rembourser était déjà passée de plusieurs semaines et un jour je suis allé le voir pour lui demander de me rembourser. Pour toute réponse, il m’a menacé de dire aux habitants du quartier mon homosexualité et après, lui et ses amis allaient s’occuper de mon cas spécialement. Des propos qui m’ont fait peur », explique-t-il.
Afin de se mettre à l’abri de toutes menaces, le journaliste est devenu un nomade sans domicile fixe et change de quartier régulièrement selon le degré de menaces auquel il fait face au quotidien. En une année, il dit avoir déménagé trois fois consécutivement parce que les voisins ont découvert son homosexualité dans tous ces quartiers.
« Je changeais de quartier tout temps pour être à l’abri. Tous les jours c’est des menaces et des agressions verbales et physiques dont je suis victime de la part de certains voisins hostiles aux homosexuels. On me traite de tous les noms et on me prive de certains de mes avantages en tant que citoyen de ce pays. Je n’ai jamais tué mais certains voisins me traitent comme un criminel. Je n’ai pas supporté cela longtemps », confie t-il.
Au sein de la corporation personne n’est au courant du statut sexuel du confrère pour l’avoir si bien caché à tous. Même à son lieu de travail aucun de ses collègues n’est au courant de sa déviance sexuelle. Au Togo, savoir qu’un journaliste est homosexuel ne fait pas bon ménage avec les mœurs du pays. Pour se protéger il a trouvé la parade efficace : « A la télévision où je travaillais, je me préserve pour cacher mon homosexualité car j’ai peur que cela me cause des ennuis professionnels si mon homosexualité est découverte par mes amis ou par ma hiérarchie. Je ne pourrai jamais l’afficher et je me préserve de cela. Je pourrai être licencié pour déviance sexuelle sans droits si mes patrons découvraient mon homosexualité sur mon lieu de travail », explique t-il.
Plusieurs fois il affirme avoir sollicité la protection des autorités togolaises qui s’est révélée sans suite. La raison est simple. Le Togo n’est pas favorable aux pratiques homosexuelles et la loi est rigide sur la question. L’article 88 du Code pénal togolais « punit la pratique d’homosexualité d’un emprisonnement d’un à trois ans et d’une amende de 100 000 à 500 mille francs CFA contre quiconque aura commis un acte impudique ou contre nature avec un individu de même sexe ».
Le 5 septembre dernier, le confrère du site d’informations en ligne www.lavoixdelanation.info titrait à la une : « TOGO : Un couple homosexuel victime de vindicte populaire ». Selon le confrère nous citons: « D’après nos informations, les deux hommes ont été ligotés, traînés dans la rue pour que la population les découvre et battus durant plusieurs minutes. Le couple n’aura la vie sauve que grâce à l’intervention de certaines personnes de la foule. Mais la mésaventure de ces deux homosexuels ne fait que commencer car le plus dur restait à venir. D’après nos recoupements, le 8 août en pleine nuit, des gens armés de bâtons et de machettes sont venus enlever le sieur Djibril pour une destination inconnue. Les mêmes gens se sont ensuite rendus au domicile de Komi, pour probablement l’enlever aussi. Ils ont défoncé sa porte mais heureusement que ce dernier était absent de la maison en ce moment. Ils se sont contentés de saccager sa chambre. Probablement informé de la situation, le sieur Komi n’est plus revenu à la maison depuis lors. A-t-il été enlevé à son tour, on ne saurait le dire ».
Un constat qui malheureusement fait toujours des dégâts au sein de la communauté LGBT au Togo où tous les jours, les membres de cette communauté sont pris à partie et menacés par leur entourage direct et indirect.
Depuis un moment, le confrère a disparu du monde médiatique et n’est plus présent sur les lieux de reportage ni à son lieu de travail. Une enquête menée par nos soins nous renseigne qu’il a quitté le Togo pour une destination inconnue. Selon ses amis et proches rencontrés à Lomé, « Jerôme (ALAGNON Yawo Fofo, NDLR) se porte bien et se sent bien dans le pays où il réside actuellement. Il s’est fait des amis dans la communauté homosexuelle et se sent protégé par les lois de son nouveau pays d’accueil. On prie pour lui ».
Pour certains membres de sa famille rencontrés à Lomé, Jérôme est une « déception pour l’ensemble de sa famille », il a « apporté la honte sur sa famille » et pour cela il est aujourd’hui « banni de sa famille ».
DBD